Perchés sur les collines : toute la singularité des villages viticoles du Beaujolais

21/09/2025

Entre cieux et vignes : une géographie qui façonne le caractère

Il faut parfois lever les yeux – ou grimper quelques lacets – pour apercevoir, lovés sur leurs crêtes, les villages viticoles perchés du Beaujolais. De Chiroubles à Odenas, en passant par Emeringes ou Saint-Julien, ces cités solidement arrimées aux collines ne ressemblent à aucune autre : elles épousent l’ondulation du paysage, défiant la monotonie de la plaine. Cette géographie escarpée explique tout, ou presque, de leur singularité.

Le Beaujolais, souvent associé à ses vallons, cache en réalité une mosaïque complexe : une succession de coteaux, dont beaucoup culminent entre 300 et 500 mètres d’altitude. Certains villages, comme Chiroubles, trônent même à plus de 400 mètres, ce qui en fait l’un des crus les plus hauts perchés. Ce relief influe directement sur l’encépagement, la maturité du raisin, le style des vins – mais aussi sur la vie quotidienne et l’allure pittoresque des villages.

  • Une architecture étagée : maisons adossées à la pente, murets en pierres sèches, ruelles étroites et escaliers taillés dans la roche.
  • Des points de vue spectaculaires : chaque promontoire offre une vue panoramique sur la vallée de la Saône, la chaîne des Alpes ou, par temps clair, le Mont Blanc.
  • Une isolation historique : difficile d’accès, ces villages ont longtemps été des mondes à part, préservant accent, coutumes et autonomie.

Des histoires gravées dans la pierre : un patrimoine architectural unique

Ce qui retient l’attention, au-delà du relief, c’est la singularité des maisons et des places. Beaucoup de villages perchés du Beaujolais sont bâtis en pierres dorées, ce calcaire ocre qui embrase les façades au soleil couchant. D'autres arborent une identité plus granitique, notamment dans le nord, apportant des reflets plus gris ou rosés jaugeant selon la nature des sols.

La configuration du bâti est presque toujours dictée par la pente : les habitations s’étagent, les caves voûtées s’enfouissent dans la roche (qui maintient fraîcheur et humidité, précieuses pour le vin). À Oingt, célèbre village classé parmi les plus beaux villages de France, les ruelles médiévales serpentent entre les vestiges du château, l’église Saint-Mathieu du XIe siècle et les ateliers d’artisans. Les galeries à balustres, arches, fenêtres à meneaux sont fréquentes dans ces hauteurs où chaque pierre semble chuchoter les récits d’autrefois.

  • Oingt : Classé parmi les “Plus Beaux Villages de France” (source : les-plus-beaux-villages-de-france.org), c’est un véritable bijou architectural du Pays des Pierres Dorées.
  • Chiroubles : L’étagement du village autour de l’église est emblématique des bourgs perchés, avec ses maisons agrippées aux pentes.
  • Saint-Amour-Bellevue : Avec sa silhouette de carte postale et sa chapelle dominant le vignoble.

Vignerons de pentes : un savoir-faire et une viticulture d’altitude

Travailler la vigne en coteaux, c’est accepter de donner du fil à retordre à ses jambes… mais aussi de récolter des fruits à l'équilibre unique. Sur ces collines, l’ensoleillement, le vent, l’altitude, la diversité géologique (granits, schistes, argilo-calcaires) offrent un mariage subtil qui se retrouve dans le verre.

Les villages perchés, de par leur exposition sud/sud-est, se protègent des brouillards de plaine et bénéficient souvent d’une maturité plus progressive des raisins : cela donne des vins réputés pour leur fraîcheur, leur finesse, leur intensité florale.

  • Près de 60% des crus du Beaujolais sont élaborés sur des parcelles en pente supérieure à 15% (source : Inter Beaujolais).
  • Chiroubles, au sommet, voit ses vignes parfois plantées jusqu’à 450 mètres, offrant l’un des gamays les plus aériens de la région.
  • Morgon, quoique moins perché, possède dans son secteur de la Côte du Py, des coteaux redoutablement accidentés (certains dépassant 20% de déclivité).

Ce relief, qui empêche la mécanisation, oblige encore de nombreux domaines à travailler à la main : les vendanges à la hotte et à la main restent la norme, prolongeant ici des gestes séculaires.

Art de vivre et traditions : la convivialité par-delà les hauteurs

Dans ces villages perchés, le temps semble suspendu lors des fêtes vigneronnes. Transhumance du bétail jadis, aujourd’hui festivals de musique, marchés de producteurs, ban des vendanges… Ici, la verticalité rassemble. Il n’est pas rare, dans ces villages aux airs de vigie, de croiser des tablées où locaux et visiteurs partagent un mâchon, ce casse-croûte paysan composé de cochonnailles et de fromages arrosé d’un verre de beaujolais.

  • La Saint-Vincent : fête patronale, toujours très suivie dans les villages perchés – à Chiroubles, par exemple, la procession grimpe de cave en cave.
  • Les Marchés de Noël de Bagnols ou Oingt : avec leurs illuminations projetées sur les murailles, ils attirent chaque année plusieurs milliers de visiteurs (près de 8 000 à Oingt selon le Progrès Lyon en 2022).
  • Les caves ouvertes : nombreux vignerons profitent de la singularité de leur village pour faire découvrir les vins en surplombant la vallée.

Les villages perchés sont les réceptacles d’histoires et de petits secrets transmis de générations en générations : comme dans la cave du domaine Charly Thévenet, à Régnié, où une pierre taillée en forme de cœur au-dessus de la porte rappellerait, dit-on, un pacte d’amour et de solidarité entre vignerons face aux aléas du climat.

Des villages d’artistes, d’artisans et d’explorateurs

Impossible de parler des villages perchés sans mentionner leur dynamisme artistique : Oingt, encore, accueille chaque été plus de trente artisans d’art (céramistes, ferronniers, mosaïstes…). Les murs de pierres dorées servent de décor à des festivals de musique classique, de théâtre, de chant choral (Oingt est surnommé le “Petit Montmartre du Beaujolais”). À Bagnols, des ateliers de potiers viennent animer les ruelles médiévales.

Les randonneurs et amateurs de vélo ne s’y trompent pas : depuis la création du “Beaujolais Vert”, un réseau de sentiers relie désormais les villages perchés grâce à près de 530 km de chemins balisés (source : Beaujolais Destination). Chaque montée est prétexte à la découverte et au pique-nique avec vue, tandis que les descentes promettent des frissons inédits.

  • La Route des Crêtes : itinéraire emblématique entre Bully, Oingt, Theizé, offrant des panoramas spectaculaires.
  • Le Sentier du Mont Brouilly : accessible depuis le village de Saint-Lager, traverse vignes et forêts jusqu’aux tables d’orientation en sommet.

Le tourisme dans les villages perchés du Beaujolais connaît une croissance régulière : selon Rhône Tourisme, Oingt accueille plus de 28 000 visiteurs par an, et l’ensemble du Pays des Pierres Dorées voit sa fréquentation progresser de 7% annuellement depuis 2018 (source : Comité départemental du tourisme Rhône).

L’esprit beaujolais, à fleur de coteau

Ce qui séduit, au fond, dans les villages viticoles perchés, c’est cette impression de marcher entre ciel et terre, immergé dans l’authenticité : ici, tout invite à la contemplation et au partage, des haltes sous les cerisiers aux rencontres inattendues dans une cave. Leur isolement originel les a protégés de la standardisation touristique : chaque village conserve son timbre, sa recette de pâté-croûte, son histoire de vendanges tardives ou de vieilles ceps plantés par l’arrière-grand-père.

Visiter ces perles en surplomb, c’est comprendre que le Beaujolais ne se limite pas au primeur et aux grandes fêtes de novembre : il se vit toute l’année, au rythme des saisons, du chant des oiseaux dans les haies de bruyère, des couchers de soleil sur la mer de vignes qui ondoie doucement à perte de vue.

Adopter le tempo des villages perchés, c’est prendre le parti de l’émerveillement, renoncer au chronomètre et s’ouvrir à la générosité d’un terroir aussi vivant que préservé. À chacun de trouver son village de cœur, perché, sincère et envoûtant.

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